Le jour où l'Homme
a décroché la Lune

La Genèse

(1957-1961)

Le début de l’ère spatiale

Kazakhstan, 4 octobre 1957. Un missile R-7 Semiorka décolle de la base soviétique de Tiuratam (futur cosmodrome de Baïkonour), emportant dans ses entrailles une sphère d’une soixantaine de centimètres, surmontée de quatre petites antennes : Spoutnik. Quelques minutes plus tard, le premier satellite artificiel de l'Histoire tourne autour de la Terre. L’URSS vient de faire entrer l'Humanité dans l’ère spatiale.

A Washington, l'exploit soviétique fait l'effet d'un électrochoc. Alors que la Guerre froide bat son plein, l’URSS semble démontrer une inquiétante supériorité technologique dans le domaine spatial. Inacceptable pour les responsables américains, qui décident de combler l'écart. Pour une vingtaine d’années, la conquête spatiale va devenir un des principaux théâtres d’affrontement entre les deux grandes puissances.

Tâtonnements américains

Les débuts américains sont difficiles. Le 6 décembre 1957, une fusée Vanguard décolle pour emporter dans l’espace le premier satellite américain. Les caméras du monde entier sont braquées sur le pas de tir. La fusée s’élève de la hauteur d’un tabouret, avant de disparaître dans une boule de feu. « Flopnik ! », ironise la presse internationale. L’humiliation est totale, d’autant qu’en face les Soviétiques multiplient les premières : premier être vivant dans l’espace (la chienne Laïka en novembre 1957), premier survol de la Lune (la sonde Luna en janvier 1959), premier homme dans l’espace (Youri Gagarine en avril 1961)…

Mais les Américains s’accrochent. Le programme spatial est totalement refondu, et quitte le giron de l'US Air Force pour être placé sous l’autorité d’une nouvelle administration civile : la Nasa. Un premier corps d’astronautes est créé, le programme Mercury lancé en 1958. C’est un sans-faute.

Le défi de JFK

Au début des années 1960, les Etats-Unis ont déjà rattrapé une bonne partie de leur retard. Mais cela ne suffit pas. Le 12 mai 1961, le président John F. Kennedy prononce un discours historique à l’université de Houston. Dans une harangue restée célèbre, il promet qu’un Américain posera le pied sur la Lune avant la fin de la décennie.

jfk

« Nous choisissons d’aller sur la Lune, et de faire d’autres choses encore, non parce que cela est facile, mais bien parce que cela est difficile, parce que ce but nous servira à organiser et à mesurer le meilleur de nos énergies et de nos capacités, parce que ce défi est celui que nous voulons accepter, celui que nous refusons de retarder, et celui que nous avons l’intention de remporter - et les autres aussi ».

John Fitzgerald Kennedy

Par « autre », il faut bien évidemment comprendre l’URSS, dont les ambitions spatiales semblent à l’époque ne connaître aucune limite. Le défi est lancé, la course peut commencer.

Neil Armstrong en mars 1966 durant la préparation de la mission Gemini 8.Nasa

Le temps de l’expérimentation

(1961-1967)

Apollo, dieu de la Lumière

Il faut trouver un nom pour le programme lunaire. Ce sera Apollo - orthographe anglaise d’Apollon, dieu grec des arts, de la poésie et surtout de la lumière. Pour l’anecdote, l’idée a été inspirée à Abe Silverstein, directeur des programmes de la Nasa, par une représentation d’Apollon sur son char, en route vers le Soleil.

C’est pourtant vers la Lune que regarde Apollo. Et pour l’instant, elle est encore bien lointaine… Au moment où JFK prononce son discours, l’exploit d’Alan Shepard, le premier Américain envoyé dans l’espace, n’a qu’une semaine. Mais les progrès sont rapides, et les moyens quasiment illimités. Dans les caisses de la Nasa, les dollars affluent aussi vite que les ergols dans une chambre de combustion: en cinq ans, le budget de l’agence est multiplié par huit. Au milieu de la décennie, la course à l’espace absorbe 5% du budget fédéral américain – un niveau jamais égalé depuis.

Von Braun

« Il n’y a qu’une chose que je puisse promettre au contribuable concernant le programme spatial: vos impôts iront très loin. »

Wernher von Braun

Tâtonnements américains

Durant la décennie 1960, la Nasa enchaine les programmes. Il s’agit d’abord de terminer les missions Mercury, commencées à la fin de la décennie précédente. Elles permettent aux Etats-Unis d’acquérir les bases du vol habité et d’étudier les effets de la microgravité. Le programme s’achève en mai 1963, lorsque Gordon Cooper pulvérise le record américain de séjour dans l’espace avec 34 heures en orbite…

Il est temps de passer à la vitesse supérieure. C’est l’objectif du programme Gemini, appelé à devenir progressivement le laboratoire d’Apollo. Entre 1963 et 1966, dix missions se succèdent, qui permettent aux Américains de maîtriser deux techniques cruciales: les sorties extravéhiculaires et les manœuvres orbitales.

Trois scénarios sur la table

Pour emmener un Américain sur la Lune, trois scénarios avaient été envisagés par la Nasa. Les deux premiers n’étaient que des variantes d’une même idée : construire un vaisseau spatial capable d’aller sur la Lune, puis d’en redécoller et de revenir sur Terre. Simplement, les modalités d’envoi de l’engin dans l’espace différaient. Dans le premier scénario, le vaisseau devait être propulsé d’un bloc vers la Lune par une fusée géante Nova. Dans le second, il devait être satellisé en kit, puis assemblé en orbite terrestre.

Mais c’est un troisième scénario, imaginé près de cinquante ans plus tôt par l’ingénieur ukrainien Alexandre Chargueï, qui a fini par l’emporter : celui d’un rendez-vous en orbite lunaire.

Défendu par James Houbolt, un ingénieur de la Nasa qui s’employa à vaincre toutes les résistances, c’était le scénario le plus ingénieux, mais aussi le plus risqué. L’idée ? L’envoi d’un vaisseau modulaire, dont une partie resterait en orbite, alors que l’autre irait se poser sur la surface de la Lune. Le module lunaire redécollerait ensuite pour s’amarrer au module resté en orbite, reformant le « train lunaire » avant le retour vers la Terre.

James Houbolt, fervent partisan du rendez-vous en orbite lunaire qui a fini par s'imposer.Nasa

Poids vs. sécurité

Les réticences initiales s’expliquent par les risques encourus par le niveau de risque. En cas d’impossibilité de s’amarrer au module orbital, aucun moyen pour l'équipage du module lunaire de revenir vers notre planète : c’est la mort assurée. Ce scénario présentait toutefois un énorme avantage : le poids. Avec un vaisseau modulaire, la masse à satelliser était quasiment divisée par deux, rendant possible l’utilisation d’une seule fusée.

Restait à maitriser la technique du rendez-vous orbital. Au fil des missions Gemini, réussir à faire s'arrimer deux engins spatiaux deviendra l’obsession des ingénieurs de la Nasa. L'exploit sera finalement accompli le 16 mars 1966 par l’équipage de Gemini 8, qui parvient à accrocher son vaisseau à une fusée-cible Agena. L'exploit a pourtant rapidement manqué virer au drame: quelques secondes après l'amarrage, les deux engins s’engageaient dans un mouvement de rotation incontrôlable, menant les deux astronautes au bord de l'évanouissement. La mission ne devra son salut qu’aux nerfs d’acier du commandant de bord. Un certain Neil Armstrong.

Un des premiers prototypes de fusée Saturn V en chemin vers le pas de tir du complexe 39, en mai 1966.Nasa

Défis techniques

(1961-1967)

Werhner von Braun, l’architecte

Au début des années 1960, le programme Apollo n'est qu'un gigantesque cahier des charges. Il s’agit avant tout de concevoir la fusée capable de propulser vers la Lune une charge utile de 45 tonnes. Par rapport aux autres programmes de la Nasa, la masse à satelliser est énorme: le vaisseau Apollo est aussi lourd que toutes les capsules Gemini envoyées dans l’espace entre 1963 et 1966.

Le projet est confié à Wernher von Braun. Concepteur des missiles V2, exfiltré par les Américains à la fin de la Seconde guerre mondiale avec 120 membres de son équipe, l’ingénieur allemand est devenu le principal artisan du programme spatial américain – l’équivalent, de l’autre côté du Rideau de fer, de Sergueï Korolev, l’ingénieur en chef du programme soviétique.

C’est sur ses épaules que repose la conception de la plus dantesque fusée jamais conçue : Saturn V. Un monstre de 3000 tonnes (dont 93% de carburant), culminant à plus de 110 mètres de haut, et nécessitant l’assemblage de douze millions de pièces.

Plan de la fusée Saturn V conçue par Wernher von Braun (à droite), ici au pied des moteurs F-1 du premier étage.Nasa

Saturn V, la fusée-monstre

Dire qu’aucun autre lanceur ne lui arrivait à la cheville est à prendre au sens littéral. Haut de 42 mètres, le premier étage de Saturn V dépassait à lui seul n’importe quelle autre fusée, américaine ou soviétique.

Plusieurs années (et deux prototypes intermédiaires Saturn I et Saturn IB) seront nécessaires avant de la voir se dresser sur le pas de tir de Cap Kennedy, en Floride. La mise au point des moteurs F-1 du premier étage, en particulier, s’avérera extrêmement complexe. Les chambres de combustion étaient tellement énormes que les 2,5 tonnes d’ergols qui y brûlaient chaque seconde provoquaient des oscillations dans l’ensemble de la structure.

Pour faire le plein, l'équivalent de 89 camions d’oxygène liquide, 28 camions d’hydrogène liquide et 27 de kérosène étaient nécessaires. Saturn V possédait cinq moteurs F-1. Leur puissance était telle que les vibrations entrainées par le décollage étaient perceptibles à 80 km à la ronde, et faisait s'agiter tous les sismographes du pays.

Mais la Nasa et ses sous-traitants mettent les bouchées doubles, et à la fin de l'année 1967, une première fusée Saturn V sort du hangar d'assemblage. Le 9 novembre, elle place en orbite deux modules de test. C’est un succès.

Les réservoirs d'oxygène liquide du premier étage de Saturn V dans le hangar d'assemblage, en 1964.Nasa

Des modules toujours trop lourds

Parallèlement, il s’agit aussi de concevoir le système Apollo, composé comme prévu de deux modules. D’un côté, le module de commande (CM) destiné à recevoir l’équipage de trois astronautes, communiquant avec un module de service (CS) abritant les réserves d’oxygène, le carburant et les moteurs. De l’autre, le module lunaire (LEM) qui doit emmener deux astronautes à la surface. Lui aussi est subdivisé en deux étages: un pour la descente, un autre pour la remontée.

La conception du LEM vire également au casse-tête. Son poids ne doit pas dépasser 14,5 tonnes, et les ingénieurs de Grumman chargés de sa conception s’arrachent les cheveux pour rester dans les clous. A force d’amincir les parois, de rogner sur le nombre de pieds ou de réduire les fenêtres, ils y parviennent pourtant. Nous sommes en 1969.

En orbite autour de la Terre, David R. Scott sort du module de commande lors de la mission Apollo 9. Au premier plan, le LEM est arrimé sur la tête du module de commande.Nasa

Echecs et solutions

(1967-1969)

Le drame d’Apollo 1

La première mission du programme Apollo est programmée pour février 1967. Tout semble prêt : la fusée Saturn IB est opérationnelle et un premier module de commande vient d’être livré.

Mais fin janvier, un banal exercice tourne au drame. Alors que l’équipage vient de prendre place dans le module de commande, pour une simulation de compte à rebours, l’atmosphère confinée du vaisseau (composée d’oxygène pur) s’embrase en quelques secondes. Les techniciens se précipitent, mais l’écoutille qui s’ouvre vers l’intérieur reste bloquée. Lorsqu’ils parviennent à ouvrir le module cinq minutes plus tard, ils découvrent les corps carbonisés de Virgil Grissom, Edward White et Roger Chaffee.

Edward White, Roger Chaffee et Virgil Grissom, dont le décès accidentel en janvier 1967 marquera la suite du programme Apollo.Nasa

Remise à plat

L’accident d'Apollo 1 fait les gros titres et porte un coup d’arrêt temporaire au programme. Dirigée par l’astronaute Frank Borman, l’enquête établit qu’un court-circuit électrique est à l’origine de l’incendie. Elle met surtout en évidence quantité d’erreurs de conception et de sources de défaillances potentielles. Toutes les procédures sont remises à plat, le fonctionnement de la capsule revu de fond en comble. Pas question de risquer un nouvel drame, qui pourrait bien signer l’arrêt de mort du programme Apollo, dont le coût astronomique fait l'objet de critiques régulières.

Le programme prend plusieurs mois de retard, mis à profit par la Nasa pour effectuer des missions non-habitées. Mais il faudra attendre octobre 1968 pour que des astronautes américains reprennent le chemin de l'espace. Dirigé par Walter Schirra, l’équipage d'Apollo 7 passe près de onze jours en orbite autour de la Terre.

Répétition générale

La mission suivante, en décembre, s’offre le grand tour : Apollo 8 se place en orbite lunaire, offrant au passage à l’Humanité la première photographie d’un lever de Terre depuis la Lune. Dans la foulée, Frank Borman, Jim Lovell et William A. Anders deviennent les premiers hommes à quitter l’orbite terrestre et à survoler la face cachée de la Lune.

Lever de Terre sur la Lune, immortalisé à la veille de Noël 1968 par l'équipage d'Apollo 8, le premier à se placer en orbite lunaire.Nasa

De plus en plus, les missions Apollo prennent des allures de répétition générale avant le premier alunissage. En mai 1969, la Nasa envisage de tenter le coup avec Apollo 10, mais préfère jouer la carte de la sécurité. Le LEM entame toutefois sa descente vers la Lune, avant de remettre les gaz à 15 km d’altitude.

Le lancement d’Apollo 11 est programmé pour juillet.

La photographie officielle de l'équipage d'Apollo 11: Neil Armstrong, Michael Collins, Buzz Aldrin.Nasa

Dernière ligne droite

(janvier - juillet 1969)

Le choix de l'équipage

L’équipage est connu depuis janvier 1969 : Neil Armstrong comme commandant de mission, Buzz Aldrin comme pilote du module lunaire et Michael Collins comme pilote du module de commande, destiné à rester en orbite. Ces trois vétérans, anciens astronautes du programme Gemini, avaient des profils relativement différents.

Armstrong posant au début des années 1960 devant un X-15 de l'US Air Force, un avion-fusée capable d'atteindre les 6000 km/h.Nasa

Armstrong ou Aldrin ?

Qui devait fouler le premier le sol lunaire ? Le choix d’Armstrong n’était pas forcément arrêté. Lors des missions Gemini, toutes les sorties dans l’espace avaient été effectuées par le pilote, alors que le commandant restait à bord. En toute logique, l’honneur aurait donc dû revenir à Aldrin. La Nasa a toutefois tranché en faveur d’Armstrong.

Officiellement, la raison est purement pratique : à l’intérieur du LEM, Armstrong se trouvait plus proche de la sortie qu’Aldrin, coincé à l’autre extrémité de l’habitacle. D’autres facteurs se sont probablement avérés plus déterminants, à commencer par la personnalité d’Armstrong. Discret voire effacé, le héros de Gemini 8 n’était pas du genre à prendre la grosse tête une fois revenu sur Terre, auréolé du statut de «premier homme à avoir marché sur la Lune».

C’était également le seul civil de l’équipage, ce qui en faisait le candidat idéal (en tout cas plus qu’un militaire) pour véhiculer un message de paix. Pour la même raison, la première mouture de l’insigne d’Apollo 11, dessinée par Collins et représentant un aigle sur le point de se poser sur la Lune, avait d’ailleurs été envoyée à la retouche. Trop agressives au goût des communicants de la Nasa, les serres du rapace avaient été modifiées pour tenir un rameau d’olivier, symbole de paix.

Cap sur la Mer de la Tranquillité

Le site d’alunissage a également été retenu : une zone elliptique d’une vingtaine de kilomètres de long au sud-ouest de la Mer de la Tranquillité, une vaste plaine de basalte visible depuis la Terre.

Durant l’année 1967, Lunar Orbiter avait photographié la Lune sous toutes les coutures, alors que les sondes Surveyor effectuaient des relevés à la surface. Ces données ont permis d'affiner la sélection du site, qui devait être relativement plat, tout en bénéficiant de conditions d’éclairage idéales.

Saturn V en route pour la Lune, au matin du 16 juillet 1969.Nasa

En route pour la Lune

(16-19 juillet 1969)

Compte-à-rebours

La nuit du 15 sera aussi courte pour Armstrong, Aldrin et Collins, que la journée du lendemain sera longue. Réveillés à 4h15, les trois hommes partagent leur petit-déjeuner. Jus d’orange, café, steak, œufs brouillés et toasts - un dernier repas normal avant de devoir se contenter de sachets lyophilisés.

Ils revêtent ensuite leurs combinaisons avant de rejoindre en bus climatisé le complexe 39A, où Saturn V se dresse dans les lumières du petit matin. Ils empruntent l’ascenseur qui mène jusqu’à l’entrée du module de commande Columbia, à une centaine de mètres du sol. A 6h54, Armstrong s’engouffre dans l’habitacle, suivi de Collins et d’Aldrin.

Ils devront patienter plus de deux heures avant la mise à feu. A 9h27, les bras qui maintiennent la fusée se rétractent. Les cinq moteurs F-1 du premier étage s’allument progressivement, commencent à cracher un océan de flammes. Le décollage est imminent.

Manoeuvre en orbite

A 9h32, Saturn V s’élève verticalement dans le ciel de Floride. Deux minutes et demie après le lancement, le premier étage se détache. La fusée file alors à plus de 9 000 km/h, à une soixantaine de kilomètres d’altitude. Le second étage prend le relais, pendant six minutes, avant d’être éjecté à son tour. Le troisième étage se trouve désormais en orbite terrestre. Deux heures trente plus tard, ses moteurs sont enclenchés afin d’accélérer le vaisseau Apollo jusqu’à 40 000 km/h et le propulser vers la Lune.

Reste une dernière formalité à accomplir : l’extraction du LEM. La manœuvre est assurée par Collins, pilote du module de commande. Alors que le troisième étage de la fusée s’ouvre comme une fleur, révélant le LEM, le module de commande s’éloigne d’une poussée, avant de pivoter à 180 degrés et de revenir se verrouiller sur le module lunaire. Les deux modules sont désormais solidaires.

Devenu inutile, le troisième étage est dévié vers une orbite solaire. Le vaisseau Apollo, lui, met le cap vers la Lune. Commence un voyage de 348 000 km qui durera trois jours, occupés à vérifier la trajectoire avec les étoiles ou à filmer la Terre qui s’éloigne – des images qui seront retransmises en direct à la télévision.

Buzz Aldrin sur la surface de la Lune. On aperçoit le LEM et Armstrong dans le reflet de son casque.Nasa

« Un bond de géant pour l’Humanité »

(20 juillet 1969)

La descente

La matinée du 20 juillet s’écoule en ultime préparatifs dans le LEM. Depuis la veille, le vaisseau se trouve en orbite autour de la Lune, dont il effectue le tour toutes les deux heures. Enfin, les deux modules se séparent. A bord de l’Aigle, Armstrong et Aldrin commencent leur descente. Resté seul à bord de Columbia, continue de tourner en orbite - seul. Il est 13h46.

A 14 021 mètres de la surface, une alarme retentit dans le module lunaire. Les systèmes renvoient une erreur 1202. Sueurs froides dans le centre de contrôle de Houston, où les ingénieurs suspectent toutefois une simple saturation de l’ordinateur de bord, submergé de données. Ordre est donné de continuer.

L'Aigle après sa séparation, photographié par Collins depuis le module de commande.Nasa

Quelques minutes plus tard, nouvelle alarme – pareillement ignorée. Le module n’est plus qu’à 1500 mètres du sol. Mais les fausses alertes ne sont déjà plus la préoccupation principale d’Armstrong. S’apercevant que l’ordinateur les dirige droit vers un champ de rochers, il prend le contrôle manuel du vaisseau, et file à l’horizontale pour trouver un terrain dégagé.

L’alunissage de l’Aigle

La marge de manœuvre est étroite : il faut se poser rapidement, sans quoi le LEM n’aura plus assez de carburant pour redécoller. Dans le module, la tension est à son comble. Le pouls d’Armstrong est passé de 77 à 156. Rivé aux instruments, Aldrin égrène les chiffres d’un ton monocorde : « 750 pieds, en descente à 23 degrés... 700 pieds, moins 21 degrés... 400 pieds, moins neuf… »

La voix de Houston retentit dans l’habitacle : « 60 secondes ». C’est le temps ce qu’il reste pour se poser – ou abandonner la mission. « 30 secondes ». Dans le module, Armstrong distingue la poussière soulevée par le moteur du LEM.

« Voyant de contact. Ok, moteur arrêté », annonce soudain Aldrin, d’une même voix neutre. « Houston, ici base de la Tranquillité, l'Aigle a atterri », confirme Armstrong quelques instants plus tard. Il est 16h18 (heure de New York), le dimanche 20 juillet 1969.

Premier pas

La sortie à la surface était programmée le lendemain, mais Armstrong décide de l’avancer de plusieurs heures. A 22h39, il ouvre l’écoutille et commence à descendre l’échelle du LEM. L’opération prend plusieurs minutes. Sur le dernier barreau, il s’arrête brièvement pour observer la surface : « Les pieds du LEM ne sont enfoncés que de quelques centimètres. La surface semble très fine, quand on approche, ça ressemble à de la poudre », détaille-t-il.

Enfin, il pose son pied gauche sur le sol lunaire et prononce des paroles qui deviendront historiques.

arm

« C'est un petit pas pour l'Homme,
mais un bond de géant pour l'Humanité ».

Neil Armstrong

Prudent, Armstrong prend le temps de se familiariser avec son environnement. Il est vite rassuré : le sol parait ferme, et les déplacements s'avèrent plus faciles que lors des simulations effectuées sur Terre. Rapidement, il prélève une poignée de poussière qu’il stocke dans un sachet. S’ils devaient redécoller d’urgence, au moins reviendraient-ils avec des échantillons.

A 23h11, Aldrin sort du module à son tour, apportant un appareil photo Hasseblad. Les deux hommes prennent quelques clichés puis installent une caméra de télévision, devant laquelle ils commencent à travailler sans tarder. Un instrument destiné à capturer les particules des vents solaires est déployé, puis ils plantent rapidement un drapeau américain rangé dans une des pattes du module.

Leur travail ne sera interrompu que par l’appel du président Richard Nixon, qui tient à les féliciter personnellement depuis la Maison blanche. Discours convenu et réponses polies: l'échange tient surtout de l'opération de communication. Les deux astronautes terminent ensuite de déployer des instruments et rentrent dans le module. Il est plus d'une heure du matin. La sortie a duré environ deux heure trente. Armstrong et Aldrin peuvent prendre quelques heures de repos. Armstrong s'improvise un hamac, Aldrin dort par terre dans un coin.

Après trois semaines de quarantaine, Armstrong, Aldrin et Collins bénéficient d'une parade triomphale à New York.Nasa

Retour sur Terre

(21 - 24 juillet 1969)

L’infinie solitude de Collins

Il est temps de revenir sur Terre. Après une matinée de vérifications, Armstrong et Aldrin allument le moteur du LEM. Il est 13h54, le lundi 24 juillet. L’étage de montée se détache, abandonnant sur place les deux tonnes de l’étage de descente.

L'étage supérieur du LEM vu depuis le vaisseau Colmubia, durant la phase de remontée.Nasa

Moins de cinq heures plus tard, le module arrive en vue de Columbia, à bord duquel Michael Collins enchaine depuis la veille les révolutions. Une attente qui lui vaudra le surnom d’homme le plus seul au monde : à chaque survol de la face cachée de la Lune, ses communications avec ses coéquipiers et avec la Terre étaient totalement coupées pendant 47 minutes.

Les procédures sont désormais bien rodées. A 17h35, le LEM s’arrime au module de commande, dans lequel Armstrong et Aldrin rejoignent Collins, avant d’être détaché. Le vaisseau met le cap vers la Terre.

Quarantaine

Après l’alunissage, l’amerrissage. Une fois parcourus les 384 000 km du voyage retour, tout s’enchaîne très vite. Le 24 juillet à 12h21, Columbia largue son module de service. Le vaisseau est désormais réduit au strict minimum : une petite capsule qui fonce bientôt à travers l’atmosphère, chauffée à blanc par les frottements, direction l’océan Pacifique. Quelques minutes plus tard, les parachutes s’ouvrent pour freiner la descente, et Columbia amerrit à 12h50 près d’Hawaï, à quelques kilomètres du porte-avion U.S.S. Hornet.

L’accueil n’est pas aussi triomphal qu’on peut l’imaginer. Certes, le président Nixon et une énorme pièce montée attendaient les astronautes sur le navire. Mais Neil Armstrong, Buzz Aldrin et Michael Collins ne les ont aperçus qu’à travers une vitre. Sitôt extraits de la capsule, les trois astronautes ont été placés en quarantaine dans une caravane climatisée. Pas question de risquer une contamination par un éventuel microbe lunaire. La Nasa n’a pas non plus été dispensée des formalités administratives, et a dû remplir une déclaration douanière pour ses échantillons de Lune. Aucune taxe n’a toutefois été appliquée.

Neil Armstrong, Buzz Aldrin et Michael Collins devront encore attendre trois semaines - et un séjour dans une unité temporaire spécialement créé pour les accueillir - avant de retrouver leurs familles. Le 14 août, ils défilent dans les rues de New York lors d'une parade triomphale.

La surface de la Lune, vue en 2009 par la sonde Lunar Reconnaissance Orbiter.Nasa

La fin du rêve lunaire?

(1969 - aujourd'hui)

L'heure du désenchantement

Evènement planétaire, l’alunissage d’Apollo 11 avait été suivi par des millions de téléspectateurs à travers le monde. C’était la dernière fois.

En novembre, Apollo 12 se déroule dans l’indifférence générale, et si l’année suivante Apollo 13 tient le monde en haleine, c’est en raison de la panne de la plupart des systèmes du module de commande, qui oblige l’équipe à se réfugier dans le module lunaire pour retourner vers la Terre.

Parallèlement, les crédits de la Nasa se tarissent. Le gouvernement américain a remporté son pari, et l’affrontement avec le bloc soviétique a désormais pris une autre forme. Les Etats-Unis sont de plus en plus engagés au Vietnam, et la guerre coûte de plus en plus cher.

En décembre 1972, Eugene Cernan et Harrison Schmitt sont les derniers astronautes à marcher sur la Lune, avec Apollo 17. Les missions suivantes sont purement et simplement annulées, et la Nasa se concentre désormais sur le programme Skylab.

Eugene Cernan, un des derniers astronautes à avoir marché sur la surface de la Lune, avec Apollo 17.Nasa

La secrète tentative soviétique

Et les Soviétiques ? Officiellement, Moscou s’était bien gardé de relever le défi lancé par Kennedy. Mais jusqu’au bout, ils ont tenté de coiffer les Américains au poteau. Deux semaines avant le lancement d’Apollo 11, le 3 juillet 1969, les Soviétiques avaient tenté le tout pour le tout. Une fusée N-1 avait décollé avec à son bord un vaisseau lunaire. L’engin a explosé à une centaine de mètres du sol. L'URSS avait définitivement perdu la course.

L’accident n’a pas fait de victimes : l’équipage devait rejoindre le vaisseau en orbite avec une autre capsule Soyouz envoyée par une autre fusée. Mais cette mission est restée secrète pendant plus de vingt ans. Il a fallu attendre la Glasnost, au milieu des années 1980, pour apprendre son existence.